Bat Ye’or : « Edward Saïd et l’Orientalisme »

Evelyne Tschihart nous a montré dans ce bref exposé artistique et historique sur l’Orientalisme ce que l’ingéniosité, la créativité artistique, l’intuition et l’observation scientifique du génie européen a ressenti au contact de cet Orient islamisé qui, conformément à l’idéologie jihadiste fut un domaine interdit et hostile aux non-musulmans qui ne pouvaient s’y aventurer sans obtenir une permission et la garde d’un ou deux janissaires pour garantir leur sécurité. Mais au XIXe siècle le sultan ottoman dut accepter l’aide de spécialistes européens pour procéder à de nombreuses réformes structurelles essentielles à l’intégrité territoriale de l’empire.
C’est à cette époque que les savants européens entreprirent le déchiffrement et la découverte des civilisations de l’antiquité. Ils établirent les disciplines de ces études, répertorièrent la faune et la flore de ces régions, créèrent des musées pour classer ces découvertes et ce savoir. Je décris cette évolution dans mon roman Moïse.
Je voudrais maintenant vous parler de la face sombre de l’Orientalisme, une face créée par Edward Saïd dans les années soixante-dix. Edward Saïd naquit en 1935 dans une riche famille bourgeoise chrétienne, il  fit ses études au Victoria College, dans une école huppée chic de Zamaleck quartier résidentiel du Caire. Il partit aux États Unis et enseigna à la Columbia University à New York la littérature anglaise et comparée. Il grandit dans un Orient totalement traumatisé par les victoires d’Israël, c’est-à-dire de Satan. Il faut rappeler que depuis les années 1930 l’Égypte et le monde musulman étaient fortement influencés par le nazisme et la haine des juifs.
Pour replacer les publications d’Edward Saïd dans leur contexte historique, rappelons-nous que les premiers livres sur la Shoah furent (réellement) publiés dans les années 1960 et 1970. À cette époque le public européen ressentait un fort sentiment de sympathie et de solidarité envers les Juifs. Cela provoquait l’animosité du monde arabe et musulman qui attribuait à la culpabilité de l’Europe envers les Juifs, les victoires de l’État hébreu. En effet il estimait les Juifs un peuple trop veule et peureux pour gagner des batailles.
Dans son œuvre sur l’Orientalisme, Edward Saïd subvertit cette culpabilité européenne de façon à la détourner vers l’Arabe, le colonisé, le Palestinien qui incarne la victime juive des nazis israéliens dans les premiers fascicules d’Eurabia. Ce que Edward Saïd appelle l’Orientalisme est une matière virtuelle fantasmée forgée dans son cerveau, entièrement consacrée à culpabiliser l’Occident. Elle représente tout ce que l’Occidental, l’Homme Blanc, pense, dit et écrit au sujet de l’Orient et de l’islam dans tous les domaines et cet immense savoir n’est qu’une accumulation de crimes.
Pour Saïd l’ensemble des contacts des Européens avec les Orientaux, leurs recherches scientifiques et archéologiques, le déchiffrement d’alphabets de l’Antiquité, les établissements scolaires, l’amélioration de la médecine, toutes leurs activités et leurs écrits sur l’Orient sont celles de prédateurs haineux, racistes, colonialistes et impérialistes. Dans son livre, Orientalism, il est le premier à assimiler l’Homme Blanc à un raciste essencialisé, c’est-à-dire dont toutes les émanations expriment le « racisme » à l’égard de l’islam. Il estime que toute la connaissance occidentale sur l’Orient est d’essence impérialiste, la culture n’étant qu’une structure de domination et de pouvoir quels que soient ses critères objectifs et scientifiques (p. 27, la pagination renvoie à l’édition en anglais). C’est une construction artificielle et inhumaine de l’homme blanc, dépourvue de toute vérité. Sa démonstration est une constante inculpation de l’Europe coupable d’islamophobie. Absentes de son univers mental sont les notions de jihad, dar al-harb, le monde de la mécréance voué à la destruction, la notion de dhimmitude, les harems et les esclaves. L’Européen qui en parle ou les décrit parce qu’il les voit est taxé de haineux et de raciste. Autrement dit Saïd rejette le réel, la cruauté tyrannique de la société islamique contre la femme, l’esclave, le dhimmi et lui substitue une vision idéologique de perfection et de victime.  

Je me limiterai ici à 3 points dans l’œuvre de Saïd sur l’Orientalisme. 

Primo : Se basant sur le mot sémitisme, Saïd affirme qu’Orientalisme et antisémitisme sont similaires sans en faire la démonstration. L’antisémitisme contre les juifs, affirme Saïd, est pareil à la haine exprimée par l’Orientalisme contre les musulmans : « Le transfert de la haine antisémite d’une cible juive à une cible arabe a été faîte facilement puisque la figure était essentiellement la même. » (p. 286). Pour Saïd l’ensemble institutionnel théologique, juridique, social qui a constitué le statut des juifs en chrétienté durant plus d’un millénaire et qui a culminé dans le génocide du peuple juif, est semblable aux recherches de savants et d’artistes orientalistes sur l’Orient, à la construction par les Européens de villes, de musées, d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures modernes dans les pays islamisés.
Saïd se fait l’agent de la volonté islamique de toujours subvertir l’histoire juive au profit de l’islam, du musulman et du Palestinien. Alors que  le conflit théologique de la chrétienté avec le judaïsme dont il est issu est bien connu par des textes juridiques et historiques, on ne sait pas très bien ce qu’est l’islamophobie. Il met sur le même pied les politiques antisémites contre les communautés juives pacifiques avec les guerres d’autodéfenses des chrétien agressés sur trois continents par le jihad dont il ne dit mot. Il est évident que ces situations sont totalement différentes et contradictoires. Sans même parler des discriminations de la dhimmitude par des empires musulmans pendant des siècles et qui n’existent pas dans le judaïsme.
Dans le monde artificiel d’E. Saïd, le jihad qui a islamisé tant de peuples chrétiens sur trois continents, avec ses déportations, son esclavagisme religieux, ses génocides sont inexistants. L’Oriental, l’Arabe, le musulman sont des victimes innocentes de l’Homme Blanc, de l’Orientalisme raciste et du sionisme qui reprend la tradition orientaliste. Pour E. Saïd l’Europe doit absolument se sentir coupable du mal incommensurable qu’elle a perpétré par l’Orientalisme=antisémitisme et dont les victimes furent l’Arabe, l’Oriental et le Musulman. J’admets volontiers l’existence de préjugés existant aussi dans l’islam à l’encontre de religions et de groupes humains, mais ils doivent être replacés dans les contextes de l’époque.
En fait cette ineptie vise à détourner sur l’islam la supposée culpabilité européenne envers le judaïsme. Or les relations entre les musulmans et les chrétiens furent établies dans un contexte permanent de guerres, de conquêtes et de domination ce qui n’est pas le cas des relations judéo-chrétiennes et prétendre que leurs fondements et leurs manifestations sont identiques est une mystification fallacieuse et abusive.

Je voudrais maintenant souligner rapidement deux autres points qui peuvent peut-être paraître futiles. Dans son livre Orientalism, Saïd conteste le sens  des mots Orient et Occident. Pour lui ces termes sont interchangeables et ne signifient rien. Seuls le colonialisme et l’impérialisme les utilisent pour marquer une différence qui n’existe selon lui que dans une pensée raciste car la connaissance après tout n’est qu’une construction artificielle de l’esprit. De même il condamne comme raciste l’expression « nous » et « eux », et préconise d’utiliser seulement le terme « nous ». Pour ramener le différent à l’identique, Saïd rabote et supprime les particularismes de la civilisation occidentale afin de l’amener dans le moule de l’islam. 

Je vous ai cité ces trois points car ils sont l’essence d’un texte très important Le Dialogue entre les Peuples et les Cultures dans l’Espace Euro-méditerranéen écrit en 2003 à la demande du Président de la Commission européenne, Romano Prodi par un groupe de personnes qu’il sélectionna et appela « Le Groupe des Sages ». Ce texte préconise la création d’une Fondation, la Fondation Anna Lindh qui se chargerait d’extirper toutes formes d’Orientalisme des pays membres de l’UE par les réformes du système éducatif, la mise au pas des médias, la re-écriture de l’Histoire par un réseau universitaire. Ces mesures promeuvent la mixité des peuples des deux rives de la Méditerranée par la suppression des visas, l’immigration, le combat contre les partis populistes jugés xénophobes et islamophobes. La culpabilité européenne et le rejet de la culture occidentale sont inhérents au texte.
En décembre 2003, le Conseil européen et les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne acceptèrent la création de cette Fondation pour l’ensemble des pays de l’UE et le réaménagement des programmes éducatifs scolaires et universitaires ainsi que le conditionnement culturel et des médias. On y retrouve la déconstruction du savoir et  l’axiome de la culpabilité de l’homme blanc. L’esprit de l’Alliance des Civilisations, un vaste projet onusien, s’inspira aussi de la pensée d’E. Saïd dans ses programmes destinés à l’éducation de la jeunesse. Vous pouvez trouver les références de ces textes dans mon livre : L’Europe et le Spectre du Califat (Europe, Globalization and the Coming Universal Caliphate).

En conclusion

E.dward Saïd connut un immense succès aux États unis et en Europe, le wokisme actuel est imprégné de sa pensée, c’est le fruit de trente années d’enseignement de haine contre l’homme blanc occidental et sa culture et son conditionnement par une culpabilité mythique suicidaire envers les musulmans et les Palestiniens. 

Bat Ye’or

(Texte de la conférence organisée par dhimmi.watch du 1/12/2021)  
https://dhimmi.watch

• cf. L’Europe et le spectre du califat, Les provinciales, 2010.