Nadia Lamm, Tribune juive : « Bat Ye’or étudie un mal qu’il nous appartient de reconnaître avec elle, la maladie de l’islam, pour lui opposer toute notre résistance fraternelle et l’aider à se délivrer. »

Un autre point de vue sur Bat Ye’or : du fratricide à la possibilité de la fraternisation.

Tribune Juive

Faut-il avoir peur de Bat Ye’or ? Je pose cette question après avoir lu l’article de Jean Birnbaum dans le Monde des livres du 16 février 2018, « Bat Ye’or, l’égérie des nouveaux croisés » dans lequel (…)  il énonce les motifs qu’il y a selon lui, d’exclure Bat Ye’or de toute réflexion pertinente sur le devenir de l’Europe.
Je résume son argumentaire puis je viendrai sur le fond du problème pour exposer mon propre point de vue sur l’œuvre de Bat Ye’or, le point de vue d’un professeur de Philosophie en charge des aspects philosophiques et pédagogiques de la formation des Maîtres en ESPE (Ecole supérieure du professorat et de l’éducation).
Bat Ye’or, écrit Jean Birnbaum, a été adoubée par des auteurs néo-conservateurs français,  anglo-saxons (…) : elle ne peut donc par définition être que réactionnaire (…)
Les autres arguments sont pitoyables : Bat Ye’or (…) serait tenaillée par « des obsessions pugnaces » et des « angoisses virulentes » (dixit Birnbaum) liées à son passé en Egypte avec toute sa famille, notamment durant la Seconde Guerre mondiale et les persécutions antisémites auxquelles se livrèrent, sous l’égide de Rommel et des Frères Musulmans, les foules égyptiennes  (…)

Son Autobiographie politique montre une jeune femme résiliente – elle n’emploie pas ce mot elle-même mais je crois qu’il s’applique parfaitement – qui, arrivée en catastrophe à Londres, rendra amoureux fou une jeune historien juif, David G. Littman (…),  auquel elle se mariera, avec lequel elle retrouvera une vie familiale équilibrée et prospère (ils auront trois enfants et ils vivront ensemble une vie amoureuse et intellectuelle passionnée et passionnante) (…). Retenir la biographie – une biographie tronquée – comme argument contre les écrits – des écrits qu’on ne prend même pas la peine de relever et de discuter – est un procédé qui relève de la chasse aux sorcières, on en conviendra (…).

Malheureusement la démonstration de Birnbaum  possède un angle mort de taille qui la fait capoter : Jean Birnbaum « oublie » que les travaux de Bat Ye’or ont été salués par des auteurs comme Robert Wistrich, historien israélien mondialement reconnu de l’antisémitisme, Jacques Ellul, théologien protestant et philosophe des religions (…) Aux côtés de l’historienne nous trouvons aussi, aujourd’hui, un humaniste qui s’est engagé dernièrement de manière exemplaire contre l’antisémitisme dont il rappelle que la gauche marxiste et socialiste ne fit pas la fine bouche pour l’adopter comme adjuvant de la lutte des classes (cf la « stratégie de la trouée »), Alexis Lacroix, auteur de Le socialisme des imbéciles. Quand l’antisémitisme redevient de gauche, éd. De la Table Ronde, 2005, et dernièrement, de J’accuse… ! 1898 – 2018. Permanences de l’antisémitisme, (éd. De l’Observatoire, 2018).

Jean Birnbaum choisit un angle d’attaque qui, on en conviendra pour l’auteur d’Un silence religieux, la gauche face au djihadisme (Le Seuil, 2016), ne manque pas de sel : voilà un auteur (Bat Ye’or), qui dérogeant  à la loi du silence qui prévaut – selon Birnbaum lui-même ! – à gauche, a placé au centre de sa réflexion… le djihadisme islamiste, précisément, et que Birnbaum, sans faire ni une ni deux, mais en obéissant au réflexe conditionné que lui-même dénonce chez les journalistes et les écrivains dits de gauche, tente de dissuader de penser et d’écrire en la renvoyant, selon les codes en vigueur que lui-même a longuement décryptés et dénoncés dans son livre,  à … l’islamophobie ! Ne pourrait-on pas dire qu’il illustre lui-même à merveille le processus de dhimmisation des esprits que Bat Ye’or précisément diagnostique à travers ses livres, et que c’est précisément là où le bât le blesse? Et faut-il rappeler encore et encore l’opuscule de Charb : Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Librio, 2015) ? (…)

La question qui nous est posée actuellement est celle-ci : pourquoi un écrivain et un poète reconnu comme Michel Houellebecq se confie-t-il à une revue (…) comme Valeurs actuelles ? Pourquoi un ex-professeur de Philosophie et auteur menacé d’une fatwa comme Robert Redeker écrit-il dans une revue (…) comme Eléments? C’est qu’ils ont un public qui attend leurs analyses, Monsieur Birnbaum, et qu’ils ne trouvent audience que là, car Le Monde et vous les avez estampillés islamophobes et néo-cons, par facilité, par lâcheté aussi. Voilà qui est dit.

Permettez-moi aussi de vous dire ce qu’il en est des réalités pédagogiques et en quoi les recherches documentées de Bat Ye’or ont été, dès la parution d’Eurabia, et restent pour moi une incitation à penser par moi-même et à encourager les étudiants à faire de même.
Le métier de professeur-formateur est un poste d’observation privilégié pour ce qui est de l’évolution des mentalités et de la détermination plus ou moins avérée chez les jeunes professeurs à vouloir défendre le patrimoine, aujourd’hui en danger, pour cause de communautarisme islamiste, des valeurs de la République.
Une certaine libération de la parole antisémite, signalant une misère intellectuelle certaine sur ce sujet et sur celui des religions, se fait jour chez ces jeunes, à la faveur du climat délétère qui s’est installé en France au début des années 2000 (…) : dès lors que fut mis en place l’enseignement des faits religieux dans l’école laïque, c’est-à-dire au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, avec ses formations initiales et continues, je fus à même de juger de l’état d’ignorance et de prévention dont les signifiants « juif » et « judaïsme » étaient affectés  dans les publics de professeurs et conseillers pédagogiques (…) : nul enseignement sur la Shoah ne pouvait venir à bout des stéréotypes antisémites car cet enseignement de type historique ne remonte pas à la racine de la vindicte antijuive des deux monothéismes dérivés (…) – le travail anthropologique et donc transdisciplinaire restant à faire est celui de l’étude de la rivalité mimétique intra-monothéiste et de ses esquisses de résolution, dès les textes fondateurs, via le désir universel de fraternisation (je prends ici le risque d’une anthropodicée audacieuse) qui s’exprime, me semble-t-il aussi à travers la montée aux extrêmes provoquée par l’islamisme, qui est la vision fermée et obsidionale de l’islam en proie à ses démons mais aussi, je le souhaite et je l’espère, de l’islam en proie aux douleurs de l’enfantement d’un visage pacifié de l’islam, un visage compatible avec la sortie du littéralisme et du dogmatisme fanatique. Et c’est là où Bat Ye’or fait œuvre utile en investissant le rôle de lanceur d’alerte qui étudie un mal qu’il nous appartient de reconnaître avec elle pour lui opposer toute notre résistance fraternelle l’aidant ainsi à se délivrer de ce que le regretté Abdelwahab Meddeb appelait dans le titre de l’un de ses livres La Maladie de l’islam (…). 

(lien pour la version intégrale du texte)

Nadia Lamm, Tribune juive, 10 mars 2018.  Cf. aussi Resilience TV.

• Autobiographie politique, par Bat Ye’or.
• Réédition chez le même éditeur de son étude Le Dhimmi.

« Jean Birnbaum choisit un angle d’attaque qui, on en conviendra pour l’auteur d’Un silence religieux, la gauche face au djihadisme, ne manque pas de sel : voilà un auteur (Bat Ye’or), qui dérogeant  à la loi du silence qui prévaut – selon Birnbaum lui-même ! – à gauche, a placé au centre de sa réflexion… le djihadisme islamiste, précisément, et que Birnbaum, sans faire ni une ni deux, mais en obéissant au réflexe conditionné que lui-même dénonce, tente de dissuader de penser et d’écrire en la renvoyant, selon les codes en vigueur que lui-même a longuement décryptés dans son livre,  à… l’islamophobie !  »

Nadia Lamm
Tribune juive.